mardi 1 novembre 2011

Mission parlementaire sur la sécurité routière : une grande déception

Retour sur le rapport de la mission parlementaire sur la sécurité routière.
Le rapport commence par une ode à la voiture :

La conduite, que ce soit celle d’une automobile ou d’un deux-roues motorisé, est aujourd’hui indissociable de la plupart des activités liées à une économie développée.

Elle représente une forme certaine de liberté, celle d’aller et de venir, de manière rapide et aussi confortable que possible, d’un point à un autre d’une sphère géographique donnée. Elle est aussi une garante de la mobilité. Car, dans notre société, elle-même dominée par le mouvement, la performance, l’efficacité et la vitesse, les moyens de transport, individuels ou collectifs, et notamment la voiture, deviennent des instruments absolument indispensables, des compléments inséparables de la vie moderne.

Parler de la voiture, ce n’est donc pas seulement mentionner un vecteur de transport. C’est aussi évoquer un élément lié à tout un mode de vie.
Cette introduction est un amoncellement de ringardises illustrant la vision que l'on pouvait avoir de l'automobile au temps de Pompidou. De nos jours, à force de vivre les effets néfastes de la voiture, nous avons su prendre du recul :
  • coût du véhicule
  • pollution
  • coût et place occupée par les infrastructures
  • sécurité
  • parking (place occupée, problème pour en trouver, ...)
  • bouchons
  • ...
L'ère de la société tournée uniquement vers la voiture est révolue depuis 10 ou 20 ans. Maintenant, on parle de code de la rue, de ville adaptée à tous les modes de déplacements et pas seulement de la voiture, ...

Avec une telle introduction, on peut craindre le pire du reste du rapport. Il faut relativiser les choses en notant que nos députés sont en général d'une génération qui a vécu dans le tout bagnole et qu'ils sont soumis tout au long de l'année à l'influence de divers lobbies. Cela ne les empêche pas de travailler en s'appuyant sur des études sérieuse en général dans le sens de l'intérêt public.

Les chiffres cités sur l'accidentologie font froid dans le dos :
Aujourd’hui, les accidents s’élèvent à un peu plus de 69 000 par an. Selon les statistiques, près de 100 000 personnes sont blessées chaque année sur la route, dont plus de 31 000 doivent être hospitalisées. 4 000 personnes perdent la vie au cours de l’accident (dont 19 % ne sont pas les conducteurs mais les occupants des véhicules) et l’on estime qu’autant de personnes, soit également 4 000, restent handicapées à vie.
Ces chiffres sont terribles mais si l'on considère le nombre d'automobilistes, le pourcentage de chance d'avoir un accident est faible. Ainsi, les personnes ayant des conduites à risque (téléphoner au volant, non respect des distances de sécurité, des limites de vitesse, conduire fatigué, ...) ont peu de chance que ces conditions génèrent un accident. Ce qui est sur par contre, c'est qu'en évitant ces conditions, des accidents pourraient être évités.

Pour rendre cela plus concrêt, prenons un exemple tiré de mon expérience à la campagne : il y a de nombreuses personnes qui doublent sans visibilité. La faible circulation du lieu fait que dans quasiment tous les cas, il n'y a personne en face donc pas d'accident. Evidemment, le jour où une personne se présentera en face pile au moment du dépassement sans visibilité, il y aura probablement accident.

Cet exemple montre qu'il est important d'améliorer ses pratiques pour diminuer encore le nombre d'accidents et que l'expérience personnelle ne suffit pas pour conclure à l’innocuité de certaines pratiques.

Des statistiques sur les accidents, on peut noter que 85% des accidents ont lieu en ville ou sur les routes départementales. C'est illustré par le tableau suivant :

Réseau

Part du linéaire

Part du trafic

Part des accidents

Part des tués

Autoroutes

1,1 %

25,5 %

6,4 %

6,0 %

Routes nationales

0,9 %

8,6 %

5,7 %

8,8 %

Routes départementales

36,8 %

39,5 %

32,5 %

66,2 %

Autres

61,3 %

26,3 %

55,4 %

19 %

Tous réseaux

100 %

100 %

100 %

100 %

la catégorie "autre" correspond au réseau communal.
source : Préédition du Bilan de l’ONISR pour l’année 2010, p. 24

La rapport précise d'ailleurs :

Ces données démontrent qu’il existe un risque différentiel selon les réseaux. En termes de nombre de tués, les routes départementales constituent le principal enjeu de sécurité routière, avec un risque d’accident six fois plus élevé que sur autoroute, qui constitue le réseau le plus sûr. Au total, 85 % des accidents mortels se déroulent sur une route départementale ou communale, chiffre qui est de 66 % pour les seules routes départementales.En revanche, si l’on ne prend en compte que les accidents, c’est le réseau communal qui est le plus touché. Ces accidents sont cependant de beaucoup plus faible gravité, puisque le nombre de tués par accident y est environ six fois inférieur à ce qu’il est pour les routes départementales. De manière générale, alors que 72 % des personnes tuées le sont en rase campagne (hors milieu urbain), 70 % des accidents corporels se produisent en milieu urbain (cf Préédition du Bilan de l'ONISIR 2010 pages 121 et suivantes).

La configuration des accidents mortels donne à réfléchir :
  • 4 tués sur 10 se sont tués seuls sans autres partie
  • 4 tués sur 10 l'ont été lors d'un choc frontal en général lors d'un dépassement
Concernant l'utilisation du téléphone, le rapport cite des études qui montrent que le fait de le tenir en main n'est qu'une petite partie du problème :
Selon l’expertise collective précitée, téléphoner accapare l’attention du conducteur et réduit donc les ressources attentionnelles indispensables à la conduite, qu’un kit mains-libres soit employé ou pas : « le conducteur qui téléphone est tout juste capable d’assurer en parallèle les tâches de conduite routinières, comme s’il se mettait en « pilotage automatique » » (85). Ainsi que l’a résumé M. Louis Fernique, « de l’ensemble des études que nous jugeons pertinentes par rapport au contexte européen, il ressort […] que la conversation téléphonique au volant représente un danger – en ce sens, l’utilisation du kit mains libres ne change rien. »
Et on ne parle pas des gens qui tapent des SMS au volant ou qui utilisent internet sur leur smartphone.

Le rapport compare ce que l'état dépense pour la sécurité routière (2 à 3 milliards d'euro) et ce que les accidents et leurs conséquences coûtent (23 milliards) ... en ne comptant que les aspects financiers. Les assurances ayant versé 16 milliards d'euro d'indemnisation, le coût pour la collectivité est au moins de 7 milliards. Comme le dit le rapport, en comparaison, l'effort de l'état est limité.

Le rapport revient sur des croyances populaires fausses comme le fait que les radars automatiques ont pour but d'enrichir l'état :

Pour ce qui est de l’État, la démonstration a été faite par M. Jean Chapelon. Le principal objectif des radars était de faire diminuer la vitesse moyenne pratiquée sur le réseau routier. Cette ambition a été réalisée puisque, depuis 2002, la vitesse moyenne a diminué de 9,8 km/h, s’établissant à 79,7 km/h. La consommation de carburant a diminué en conséquence, entraînant une diminution des recettes fiscales au titre de la TIPP que M. Jean Chapelon chiffrait, en 2007, à 500 millions d’euros par an, auxquels il convient d’ajouter le coût de fonctionnement du CSA, qui est d’environ 200 millions d’euros par an. Ces chiffres sont supérieurs au produit des amendes, qui est de 550 millions d’euros environ. Il faut par ailleurs rappeler que ces 550 millions d’euros sont consacrés, pour 100 millions d’euros au déploiement de nouveaux radars, pour 200 millions d’euros à l’entretien des radars existants et pour 100 millions d’euros à l’abondement de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, le reste étant attribué aux collectivités locales.

Les usagers ont bénéficié de plusieurs façons de la baisse de l’accidentalité routière. En premier lieu, bien entendu, plusieurs milliers d’entre eux restent en vie chaque année grâce à la diminution des vitesses pratiquées. En second lieu, ainsi que l’a fait remarquer M. Yves Gascoin, président de l’association lyonnaise « Les droits du piéton », avec la division par deux du nombre des morts, les primes d’assurance, en euros constants, ont baissé de plus de 15 % depuis 2002 . De fait, elles ont augmenté de 10 % sur cette période, alors que l’indice des prix progressait de plus de 20 %. Si l’on rapporte ce pourcentage aux 15 milliards de prime d’assurance automobile qui sont payés chaque année, le calcul démontre que les usagers ont bénéficié financièrement du CSA.

La société, dans son ensemble, s’est également enrichie grâce à la baisse de la mortalité consécutive au déploiement du CSA. Le rapport de l’ONISR pour l’année 2000 évaluait à environ 28,5 milliards d’euros le coût de l’insécurité routière . Ce chiffre est, pour l’année 2010, de 23,4 milliards d’euros. Le gain est donc de plus de 5 milliards d’euros par an, sans prendre en compte l’inflation, du fait de l’amélioration de la sécurité routière dans son ensemble, laquelle résulte pour une large part de la diminution des vitesses pratiquées.
Dans la suite du rapport, la commission, sous couvert de rendre acceptable socialement les mesures liées à la sécurité routière propose de casser partiellement les mécanismes en place :
  • gel et évaluation des radar de feux rouges
  • assouplissement du permis à point (15 points au lieu de 12, pas de perte de points pour les petites excès de vitesse sur autoroute, ...)
Concernant les vélos, le rapport note que les vélos ne doivent pas circuler sur les trottoirs (c'est ans vrai : seuls les enfants de moins de 8 ans en ont le droit) et met en cause avec des arguments qui ne semblent pas fondés les doubles sens cyclables. Les arguments citent la sécurité des piétons mais la proposition parle de la sécurité des cyclistes ce qui manque de cohérence.

Concernant les doubles-sens cyclables, on peut penser que les députés ont écouté plus leur ressenti individuel que les études concrètes et crédibles. C'est regrettable car cela pourrait limiter le développement d'une infrastructure favorables à la sécurité des cyclistes.

Le bilan est un rapport avec une partie documentaire très intéressante. Les propositions semblent celles de députés ne voulant pas fâcher leurs électeurs à quelques mois d'une élection ce qui est décevant. Elles accumulent les lieux communs : certains utiles et d'autres contraires aux études sérieuses.

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